Le plus simple est de commencer par cliquer sur le cliché ci-dessus afin de l'agrandir. Non, ce n'est pas un photo-montage et non, vous ne rêvez pas : ce que vous voyez, perché à près de 3 mètres au-dessus de la rivière aux Perles, dans l'Etat américain du Mississippi, est bien un alligator. Comme il n'a pas été largué là par hélicoptère, sa seule manière d'arriver en haut de cette branche a été d'y grimper tout seul.
Même si ces animaux semi-aquatiques ne se débrouillent pas si mal que cela au sol, étant capables d'atteindre des pointes au sprint de 17 km/h, on a des difficultés à imaginer les crocodiliens jouant les Tarzan. Pourtant, ainsi que le dévoile une étude publiée fin janvier dans Herpetology Notes, le comportement de cet alligator ne semble pas exceptionnel. Les auteurs de cet article l'ont observé chez de nombreuses espèces de crocodiliens et sur trois continents, en Australie, en Amérique et en Afrique. Il est généralement le fait d'individus jeunes ou de petite taille, comme par exemple les crocodiles nains, une espèce africaine dont les individus mesurent en moyenne 1,50 m. L'étude rapporte ainsi qu'un de ces animaux s'est échappé du zoo de Bristol (Royaume-Uni) en escaladant un arbre qui poussait dans un coin de son enclos... Néanmoins, les auteurs expliquent que des individus plus grands, atteignant les 2 mètres, comme celui de la photo, parviennent également à hisser leur masse dans les branches, pour peu que celles-ci soient assez larges et assez solides.
Pour justifier ce comportement surprenant, l'étude suggère deux hypothèses. La première est simple, qui évoque la surveillance de l'environnement. Occuper une sorte de poste de vigie. La seconde est plus subtile et tient au fait que les crocodiliens sont des animaux à sang froid (ectothermes). Pour faire remonter leur température interne lorsque celle-ci est trop basse, ils s'en remettent au chauffage naturel, à savoir les rayons du soleil, et c'est d'ailleurs souvent ainsi qu'ils commencent leur journée. Mais, dans les mangroves où la plupart des "grimpeurs" ont été repérés, les berges ensoleillées où se prélasser sont rares voire inexistantes. C'est pour cette raison que les crocodiliens voudraient prendre de la hauteur : pour être à la fois au sec et face à Phoebus.
Les auteurs de l'étude citent l'exemple d'un faux-gavial d'Afrique d'1,40 mètre ayant dû, pour atteindre son perchoir, se hisser le long d'une branche verticale de 4 mètres de haut. Ce genre de prouesse souligne la capacité qu'ont les crocodiliens, malgré leurs courtes pattes, à tirer leur corps le long d'un support doté d'une pente importante. Ils en tirent également la conclusion que, dans les études sur les espèces éteintes d'archosauriens (groupe d'animaux comprenant les dinosaures et les crocodiliens), mieux vaut prendre des précautions avant d'écarter tout comportement arboricole. La question s'est ainsi posée il y a quelques années au sujet d'un petit crocodile australien disparu il y a quelques millions d'années, Trilophosuchus rackhami, qui possédait des caractéristiques physiques indiquant un mode de vie terrestre. L'idée était restée à l'état d'hypothèse, notamment parce qu'aucun crocodilien connu ne grimpait aux arbres...
Pierre Barthélémy