vendredi 14 février 2014

Bataille financière autour du recyclage des déchets ménagers


Tri des sacs de déchets dans une usine de méthanisation à Morsbach (Moselle).

C’est une affaire de plusieurs dizaines de millions d’euros, qui provoque de vives tensions entre les collectivités territoriales et les entreprises responsables de la mise sur le marché des emballages ménagers, au premier rang desquelles la grande distribution.

Au cœur du débat, la révision de l’enveloppe versée par les entreprises aux collectivités pour financer la collecte sélective et le tri des déchets issus de ces emballages, censés être jetés dans la poubelle des recyclables. Le ministère de l’écologie doit décider d’ici au 3 mars de l’augmenter ou de la geler.
En 2010, des différends importants étaient apparus entre parties prenantes lors de la négociation du réagrément ministériel d’Eco-Emballages, l’éco-organisme – géré par les entreprises – chargé de financer le recyclage de ces emballages constitués de plastique, carton, métal et verre. Il avait donc été décidé, dans le cadre d’une « clause de revoyure », de remettre sur la table, en 2013, les principaux points d’achoppement, essentiellement financiers.
La somme versée par Eco-Emballages aux collectivités a atteint 549 millions d’euros en 2012, en hausse de 34% sur deux ans, selon l’éco-organisme, qui estime avoir atteint l’objectif de couverture de 80% des coûts de collecte et de tri qui lui avait été assigné par la loi Grenelle 1 de 2009. « Certaines collectivités perçoivent même davantage que ce qu’elles dépensent », affirme Eric Brac de La Perrière, le directeur général d’Eco-Emballages.

« UNE HISTOIRE DE GROS SOUS »

Un constat contestée par Amorce et le Cercle national du recyclage (CNR), deux organisations de collectivités assurant la gestion des déchets sur leur territoire, qui estiment que le taux réel de couverture est de l’ordre de 55% des dépenses. « En fonction des hypothèses de calcul, il manque entre 40 et 340 millions d’euros »,assure Bertrand Bohain, délégué général du CNR, tout en reconnaissant que« tout cela ressemble beaucoup à une histoire de gros sous ».
Dans un courrier adressé à Philippe Martin, le ministre de l’écologie, en novembre 2013, Eric Brac de La Perrière établissait un parallèle entre la contribution financière de plus en plus élevée de sa société et le plafonnement des performances de recyclage des emballages, qu’il imputait aux collectivités. Il aboutissait à la conclusion que toute augmentation imposée par le ministère« serait parfaitement injustifiée » et « pourrait remettre en cause l’économie générale du dispositif existant ».
Le directeur d’Eco-Emballages attend avec sérénité l’arbitrage gouvernemental. Il a en effet reçu deux soutiens pas forcément attendus. Fin janvier, la Cour des comptes a rendu un rapport très favorable à l’éco-organisme et critique envers les collectivités. Parmi ses recommandations, figure celle-ci, on ne peut plus claire :« Ne prévoir aucune enveloppe financière au titre de la clause de revoyure. » « Le rapport valide notre stratégie en affirmant qu’il faut agir auprès des collectivités les moins performantes plutôt que de soupoudrer les financements », se réjouit Eric Brac de La Perrière.

« NE PAS CASSER UN OUTIL QUI FONCTIONNE »

Quelques jours plus tard, le président de l’Association des maires de France, Jacques Pélissard, écrivait à Philippe Martin pour lui faire part de son opposition à une « réévaluation mécanique » de la contribution de l’éco-organisme. « Ce ne serait pas raisonnable, alors que les temps sont durs, confie-t-il au Monde. Et nous ne voulons pas casser un outil qui fonctionne, et qui fonctionne bien. »
Amorce et le CNR assurent que les calculs des services du ministère de l’écologie corroborent les leurs. Mais la division des organisations représentant les collectivités affaiblit leur position. « On est face à un lobby inarrêtable, soupire Nicolas Garnier, délégué général d’Amorce. Si le ministère donnait raison à Eco-Emballages, ce serait la victoire des grandes entreprises sur la logique écologique. »
Dans la dernière ligne droite avant l’arbitrage, la tension est montée d’un cran.« Amorce est systématiquement contre tout », s’indigne Eric Brac de La Perrière.« Eco-Emballages n’organise rien, ce sont les collectivités qui font tout le boulot », rétorque Bertrand Bohain.
Les discussions sur le prochain réagrément d’Eco-Emballages, qui devraient s’ouvrir fin 2015, promettent d’être musclées. L’éco-organisme ne cache pas son intention de demander, à cette occasion, une révision à la baisse du coût de référence à partir duquel est calculée sa contribution.