jeudi 14 mars 2013


VIDÉO. Écoutez le cri de la fourmi !

Ces sons étonnants seraient notamment un moyen pour les fourmis immatures de faire valoir auprès des adultes leur statut social et l’avancement de leur métamorphose.
La pupe, le stade de développement entre la larve et l’imago (fourmi adulte). La flèche désigne la partie de leur anatomie qui produit des sons. Current biology, Casacci and al.
La pupe, le stade de développement entre la larve et l’imago (fourmi adulte). La flèche désigne la partie de leur anatomie qui produit des sons. Current biology, Casacci and al.

CHANT. Chez les fourmis, le principal moyen de communication est chimique, via les phéromones. Mais les entomologistes savent qu’elles peuvent également produire des sons en utilisant la jonction entre leur abdomen et leur thorax, un peu comme les criquets utilisent leurs pattes pour se « gratter » et émettre leur chant. 
Dans un article publié dans la revue Current Biology, des scientifiques révèlent que les adultes ne sont pas les seuls à produire des sons, c’est aussi le cas pour les pupes, le stade de développement entre la larve et l’imago (fourmi adulte). Ces sons étonnants seraient un moyen pour ces fourmis immatures de faire valoir leur statut social et l’avancement de leur métamorphose.
Pour capter les sons produits par les fourmis, les chercheurs ont placé un microphone ultrasensible à proximité d’œufs, de larves et de pupes à différents stades de maturité. Seules les pupes les plus matures ont produit des sons, composés d’une unique pulsation, contrairement à celui des adultes qui est plus continu. Les sons produits par les adultes, appelés stridulations, servent par exemple à signaler des dangers à leurs congénères. Écoutez-les dans la vidéo ci-dessous.

EXOSQUELETTE. À mesure que les pupes grandissent, leur exosquelette prend une couleur plus foncée et se fait plus solide, ce qui leur permet de produire ces sons. En testant ces sons sur des fourmis adultes, les chercheurs ont remarqué que celles-ci se dirigeaient instantanément vers les haut-parleurs, et se mettaient parfois à les « garder ». De plus, en rendant expérimentalement des pupes silencieuses, les adultes s’en sont désintéressés et les ont laissés à l’abandon.

Grâce au son émis par les pupes, les adultes déterminent quels sont ceux qu'il faut sauver en premier !


Une autre expérimentation a consisté à prélever de la colonie des adultes et des immatures pour observer leur comportement. Quand elles font face à un danger, les ouvrières se mettent alors à secourir les jeunes, qui ne peuvent se déplacer, pour les amener en lieu sûr. Les chercheurs ont constaté que les adultes se sont prioritairement occupés des pupes, revenant dans un deuxième temps vers les œufs et les larves. Ces sons seraient donc un moyen pour les adultes de déterminer quels sont ceux qui méritent d’être sauvés en premier.
CASTE. Les fourmis sont connues pour entretenir des liens sociaux complexes et hiérarchisés. Chaque caste de fourmi (ouvrières, soldats, princes, princesses, Reine) a une fonction bien précise qui sert au bon fonctionnement de la colonie.
Le chercheur Karsten Schonrogge, du centre d’hydrologie et d’écologie au Royaume-Uni, qui a corédigé l’étude, explique qu’« avant nos recherches, l’on pensait que ces sons servaient uniquement comme des signaux de repérages ou de détresse. Nous avons démontré qu’ils pouvaient servir à transmettre des informations plus complexes, comme le rang social ».
Mais quel intérêt pour les pupes de communiquer via des sons plutôt que grâce à des phéromones ? Les chercheurs émettent deux hypothèses. La première est d’ordre purement fonctionnel : le « tégument » (en quelque sorte la peau) qui recouvre les pupes serait trop épais et bloquerait le passage des messages chimiques.
ODEUR. L’autre explication concerne le système de reconnaissance par phéromones. Une colonie possède une « odeur » caractéristique, qui permet aux individus de repérer quelles sont les fourmis qui viennent de la même colonie que la leur. Or cette signature s’acquiert grâce à des échanges constants de composés chimiques entre les individus (on parle parfois du « baiser de la fourmi »). Les immatures n’ayant pas encore eu l’occasion d’échanger chimiquement avec leurs consœurs, communiquer de façon sonore serait un moyen d’y remédier.
Pour Schonrogge, cette étude « démontre que les fourmis communiquent de façon beaucoup plus variée qu’on ne le pensait. Certains signaux pourraient influencer la réponse comportementale vis-à-vis des autres individus. Cela nous ouvre des portes vers de nouveaux types de recherches ». On n’a donc pas fini d’entendre parler des fourmis…
Lionel Huot, Sciences et Avenir, 14/03/13