Les grands carnivores d'Europe reprennent du poil de la bête
Les grands carnivores d'Europe reprennent du poil de la bête
Ils étaient, au siècle dernier, au bord de l'extinction sur
le territoire européen, décimés par la chasse et la destruction de leur
habitat. Les voici de retour, bien vivaces. Les populations de grands
carnivores, ours, loup et autre lynx, même si elles sont très loin d'avoir
retrouvé leur abondance d'antan, sont aujourd'hui « stables ou en augmentation
» dans la plupart des pays. C'est ce que montre un recensement – le plus
complet à ce jour – effectué sur l'ensemble du continent (Russie, Ukraine et
Biélorussie exceptées), dont les résultats sont présentés, jeudi 18 décembre,
dans la revue Science.
Les auteurs de cet inventaire animalier y voient le fruit
des politiques de conservation mises en œuvre dans l'Union européenne. Mais
aussi la preuve que « les grands carnivores et les hommes peuvent partager le
même espace ». Une conclusion qui ne manquera pas de nourrir la polémique,
toujours féroce, sur la cohabitation entre l'homme et ces prédateurs.
Soixante-seize experts de la faune sauvage de vingt-six pays
ont contribué à cette compilation de données, qui dresse un état des lieux,
arrêté en 2011, pour les quatre principales espèces de grands carnivores
présentes en Europe : l'ours brun (Ursus arctos), le lynx eurasien (Lynx lynx),
le loup gris (Canis lupus) et le glouton (Gulo gulo).
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RECOLONISATION
A l'exception de la Belgique, du Danemark, du Luxembourg et
des Pays-Bas, tous les pays d'Europe abritent de façon permanente au moins
l'une de ces espèces, qui évoluent sur une aire totale de plus de 1,5 million
de km2, soit environ le tiers de l'espace européen. L'ours, dont les effectifs
sont les plus nombreux, avec 17 000 individus (dont plus de 7 000 dans les
Carpates), est présent dans 22 pays. Le loup, avec 12 000 spécimens, dans 28.
Le lynx, avec quelque 9 000 représentants, dans 23. Quant au glouton, acclimaté
aux régions nordiques, il ne compte que quelque 1 250 individus répartis entre
la Norvège, la Suède et la Finlande.
Distribution des grands carnivores en Europe en 2011 : ours
brun (en haut à gauche), lynx eurasien (en haut à droite), loup gris (en bas à
gauche) et glouton (en bas à droite). Les zones en bleu foncé sont les aires de
présence permanente, celles en bleu clair les aires de présence occasionnelle.
Les lignes orangées marquent les limites entre les différentes populations
« On assiste, au niveau continental, à une recolonisation de
zones géographiques dont ils avaient disparu par des grands carnivores dont les
populations se portent globalement bien », commente Guillaume Chapron, maître
de conférences en écologie à l'université suédoise des sciences agricoles et
coordinateur de l'étude, qui anime aussi un groupe de recherche sur ce sujet.
Ce qui n'empêche pas plusieurs sous-populations d'être en grave péril, comme
l'ours dans les Pyrénées, le lynx dans les Vosges ou le loup dans la Sierra
Morena, dans le sud de l'Espagne.
Cette reconquête territoriale est d'autant plus remarquable,
souligne le chercheur, qu'elle se produit « sur le continent où l'on s'y
attendrait le moins, du fait de sa forte densité humaine ». Ainsi, l'Europe
compte aujourd'hui deux fois plus de loups que les Etats-Unis, alors que son
territoire est deux fois moins grand et la densité de sa population près de
deux fois et demie plus élevée. Cela, sans qu'aucun pays ait jamais procédé à
une réintroduction du grand canidé, dont l'expansion s'est faite de manière
naturelle. Conclusion : « Ces prédateurs, si on les laisse en paix, sont
capables de s'accommoder de milieux anthropisés. »
PARTAGE DES TERRES
C'est le signe, estiment les auteurs, que « le modèle du
partage des terres, où hommes et prédateurs coexistent, peut réussir à
l'échelle d'un continent ». Un modèle qui s'oppose à celui de la séparation de
l'espace en vigueur Outre-Atlantique, où ces animaux sont tenus à distance dans
zones protégées ou des espaces réservés à la vie sauvage, à l'image du loup
dans le parc national américain de Yellowstone.
Vision idyllique d'un « vivre-ensemble » pacifique entre ces
animaux à crocs et à griffes et les humains, à commencer par les bergers qui,
en France notamment, les accusent de mettre en pièces leurs troupeaux ? « Nous
ne disons pas que cette cohabitation n'engendre pas de conflits. Mais les faits
montrent qu'elle est possible », répond Guillaume Chapron.
Plusieurs facteurs expliquent, selon les auteurs, le regain
de vitalité des grands carnassiers. La restauration des populations d'ongulés
sauvages – cerf, chevreuil, daim, mais aussi sanglier, chamois ou bouquetin –
qu'ils se mettent sous la dent bien davantage que les cheptels domestiques.
L'exode rural qui leur a libéré des espaces nouveaux. Mais surtout la
législation protectrice dont s'est dotée l'Europe, avec la convention de Berne
de 1979 sur la conservation de la vie sauvage et du milieu naturel, et plus
encore la directive habitats faune-flore de 1992.
AVENIR INCERTAIN POUR LE LYNX ET L'OURS EN FRANCE
Pour autant, le retour de ces espèces emblématiques qui, au
sommet de la chaîne trophique, jouent un rôle essentiel dans la régulation des
écosystèmes, est-il durable ? L'exemple de la France est symptomatique. Le loup
qui, présent sur 90 % du territoire il y a deux siècles, en avait totalement
disparu à la fin des années 1930, y est revenu naturellement en 1992, depuis
l'Italie. Aux dernières estimations, réalisées à la fin de l'hiver 2013-2014,
sa population se montait à 301 individus – avec une marge d'erreur de 80 en
plus ou en moins –, sa croissance annuelle avoisinant 20 %.
Le lynx, lui aussi autrefois largement répandu dans
l'Hexagone, s'est effacé du bassin parisien et des Vosges au XVIIe siècle, puis
du Massif central et du Jura au XIXe siècle, tout en se maintenant dans les
Alpes jusque dans les années 1940. Revenu naturellement dans le Jura français
en 1974, à la suite de sa réintroduction dans le Jura suisse, il y a établi un
noyau d'une centaine de spécimens. On en dénombre aussi une poignée dans les
Alpes, tandis que dans les Vosges, où il a été réintroduit dans les années
1990, il est en rapide déclin.
Quant à l'ours, chassé par le passé des plaines puis des
montagnes, il n'a survécu que dans les Pyrénées, où ses effectifs étaient
estimés entre 100 et 150 individus dans les années 1940, et à la moitié dans
les années 1960. Il n'en subsiste plus à présent, après deux réintroductions de
plantigrades slovènes, en 1996-1997 puis en 2006, que deux douzaines, réparties
en plusieurs groupes sur les Pyrénées françaises et espagnoles.
C'est dire que les effectifs des trois espèces restent
modestes sur le sol français. De par ses caractères biologiques, le loup est le
plus apte – si une trêve est conclue avec les éleveurs – à perdurer. « Sa
démographie est plus dynamique que celles du lynx et de l'ours, explique Eric
Marboutin, chef de projet loup et lynx à l'Office national de la chasse et de
la faune sauvage (ONCFS), qui a participé à la collecte de données. Par sa
capacité de reproduction, de survie et de colonisation de l'espace, il est
capable de s'adapter à différents milieux. C'est un peu l'animal passe-partout.
»
L'avenir est, en revanche, plus incertain pour le lynx,
cantonné aux franges forestières de l'est de la France. Il l'est encore
davantage pour l'ours, dont les derniers représentants sont isolés dans le
massif pyrénéen. Cet été, la ministre de l'écologie, Ségolène Royal, a élargi
les possibilités de « tirs de prélèvement », c'est-à-dire d'abattage de loups.
Et elle s'est opposée à un nouveau lâcher d'ours dans les Hautes-Pyrénées.
Pierre Le Hir
Journaliste au Monde
Ours brun femelle avec ses oursons dans le parc national de Gutulia, dans le sud-est de la Norvège
Le lynx eurasien, ou boréal, est surtout présent en Scandinavie et dans les Carpates.
En savoir plus sur
http://www.lemonde.fr/planete/article/2014/12/18/les-grands-carnivores-d-europe-reprennent-du-poil-de-la-bete_4542108_3244.html#dtdgy1wXoEKvDxh9.99