
« Si on fermait les plages à chaque fois qu’on voit un requin, elles le seraient de mai à octobre. »
Président de l’association Ailerons, qui œuvre à la connaissance et la protection de cartilagineux, il commente la récente fermeture temporaire de six plages de Catalogne.
Mardi dernier, six plages de la côte catalane ont hissé le drapeau rouge suite au signalement de la présence de trois requins bleus évoluant au large. Matthieu Lapinski est ingénieur écologue et président de l’association Ailerons, créée en 2006 à Montpellier, avec la vocation d’apporter une meilleure connaissance sur les raies et les requins de Méditerranée. Il a accepté de répondre à nos questions concernant le poisson le plus redouté au monde.
La fermeture des plages de Catalogne à la baignade était-elle justifiée d’après vous ?
Non. D’une part, l’observation n’était pas très claire, il n’y a eu ni photo ni vidéo et le repérage a été réalisé par des sauveteurs de la Croix rouge qui ne sont pas des spécialistes. Par ailleurs, cette décision n’est pas justifiée car les requins n'étaient pas dans les jambes des baigneurs, mais au large. En Australie où il y a toujours des requins, l’alerte n’est donnée que si les ailerons sont présents sur la bande côtière. Ce que cette réaction met en évidence, c’est surtout le manque d’informations sur les raies et les requins du grand public et des autorités sur les raies et les requins. Des requins, il y en a en Méditerranée et il y en a toujours eu. Et si c’était bien des requins bleus, la fermeture n’était pas cohérente car ils mangent principalement des petits poissons et des calamars.
Trouve-t-on de nombreuses espèces en Méditerranée ?
On trouve 80 espèces de cartilagineux, une famille qui comprend les requins, les raies et les chimères. L’espèce de grands requins la plus commune est justement le requin bleu. C’est l’espèce la plus commune dans le monde, et que l’on rencontre le plus souvent car elle vit entre 0 et 200 mètres de profondeur. On croise aussi de petits requins comme la roussette, pêchée en chalut de fond et que l’on retrouve sur les étals de marché sous le nom de saumonette. On peut aussi voir le requin blanc. Il y en a toujours eu en Méditerranée, notamment entre la Sicile et la Tunisie où vivait une population de phoques. Ils sont aujourd’hui beaucoup plus rares depuis la disparition des phoques, l’exploitation maritime, la surpêche... On nous a fait part d’observations de juvéniles l’an dernier en Corse et dans le golfe de Saint-Tropez et les plages n’ont pas été fermées alors que cela aurait été moins étonnant qu’avec un bleu, même si dans les deux cas cette mesure n’est pas nécessaire.
Le film Les Dents de la mer a donc fait une réputation qui n’était pas méritée aux requins...
Il y a toujours eu un grand respect pour le requin, mais le film a traumatisé deux générations. Nous misons sur la prochaine qui n’a pas une peur bleue des requins, avec nos actions de sensibilisation. Le réalisateur a lui-même regretté d’avoir fait ce film.
Les requins sont-ils dangereux ?
L’Homme ne fait pas partie de son régime alimentaire, les attaques et les morts sont rares. On en compte une dizaine par an dans le monde. Cela représente une infime partie des accidents dûs aux animaux. Le nombre de morts dues à des moustiques, des crocodiles, des hippopotames, des éléphants, des chiens... est bien plus important et on a plus de chances d’être assommé par une noix de coco que d’être tué par un requin. Chaque jour des milliers de tours opérators envoient des touristes à la rencontre de requins sans souci et même dans les cas de nourrissage destiné à les exciter, les accidents sont rares. On voit régulièrement des apnéistes nager à côté d’eux sans problème. Des humains dans l’eau il y en a énormément et le nombre d’attaques est proportionnellement ridicule. Le comportement agressif des requins n’existe que dans les fantasmes et les films. Pour autant, ils restent des animaux sauvages qui nécessitent de prendre de réelles précautions en cas de rencontre fortuite.
Vous observez régulièrement des requins en Méditerranée. A quel endroit ?
Nous travaillons au large des ports locaux de Carnon, Agde et Saint-Cyprien. Si à chaque fois qu’un requin est observé, on fermait les plages, elles le seraient de mai à octobre. Ce qui est moins commun par contre, c’est le relais de l’information alors qu’elle peut être précieuse. Nous manquons beaucoup de connaissances sur les requins. Et si un projet en mer prévoit de s’installer sur une zone de reproduction, nous sommes pour l’instant incapables de donner des directives suffisantes pour la préserver.
Cette méconnaissance est-elle due à la difficulté de les observer ?
Oui car d’après les anciens chercheurs, l’intérêt pour les requins de Méditerranée est arrivé tardivement et leurs stocks sont aujourd’hui très faibles. Chaque année on estime que 100 à 200 millions de requins sont pêchés dans le monde. Cette exploitation a amené à une diminution importante de leur population, de l’ordre de 90%. Nous avons ce type d’exemple avec l’ange de mer, qui était très commun dans la baie des Anges à Nice et qui est aujourd’hui considéré comme en danger critique d’extinction en Méditerranée française. Nous ne sommes pas opposés à la pêche dans le respect de l’animal et des quotas, mais pour l’instant les stocks sont très bas, ce n’est pas le moment de la pratiquer. Sur les quinze espèces de poisson en danger critique d’extinction en Méditerranée, quatorze sont des raies et des requins.
Existe-t-il des mesures de protection pour les requins ?
Oui, il existe des conventions internationales comme Cites, Bonn ou Barcelone, mais la liste d'espèces de requins et de raies qui y sont inscrites est très réduite. Une loi européenne de 2013 spécifie que les dépouilles des requins doivent arriver au port avec l’aileron et les nageoires toujours accrochés au corps. C’est déjà une victoire par rapport à la pratique cruelle qui consiste à rejeter à l’eau des requins vivants « sans bras ni jambes » pour une soupe asiatique de luxe. Mais globalement, mis à part les projets associatifs et les recherches scientifiques, il n’existe aucun programme de préservation des requins à l’échelle française et européenne.
Propos recueillis par Hélène Gosselin
source : l'Hérault du Jour