La coccinelle, victime collatérale du MON810
LE MONDE
Alors que la France a renouvelé, vendredi 16 mars, son moratoire sur le maïs transgénique MON810, la controverse scientifique fait toujours rage sur les risques environnementaux potentiels associés à cette culture. Avec, cette fois, au centrede l'attention, la suspicion de ses effets collatéraux sur un charmant coléoptère : une espèce de coccinelle du nom d'Adalia bipunctata.
Dans la dernière édition de la revue Environmental Sciences Europe, Angelika Hilbeck, chercheuse au Centre de biologie intégrative de l'Institut fédéral suisse de technologie de Zurich (ETHZ), revient sur cette polémique pour la clore - mais seulement en partie. Selon de nouvelles expériences menées par la biologistesuisse, la toxine Bt (Bacillus thurigensis) produite par le MON810 est bel et bien toxique, en laboratoire, pour bipunctata. Un résultat embarrassant pour Monsanto, puisque ce coléoptère est assez éloigné des ravageurs ciblés par la toxine Bt en question, dite Cry1Ab.
L'affaire commence il y a trois ans. Début 2009, Jörg Schmidt (ETHZ) publie, dansArchives of Environmental Contamination and Toxicology, l'observation en laboratoire d'un effet délétère de la toxine sur la coccinelle. L'étude est citée par le gouvernement allemand à l'appui du moratoire imposé en avril 2009, outre-Rhin, sur le fameux maïs transgénique. Elle se heurte aussitôt à un tir de barrage.
"VOCABULAIRE FEROCE"
"Quelques semaines plus tard, deux commentaires critiques sont publiés coup sur coup dans la revue Transgenic Research, avec un vocabulaire inhabituellement féroce pour un échange scientifique, rappelle Denis Bourguet, chercheur à l'Institut national de la recherche agronomique (INRA) et spécialiste de l'évaluation des effets indésirables des cultures transgéniques. L'un des articles suggérant même que ces travaux sont assimilables à de la pseudo-science."
La même revue publie, en 2010, une expérience qui semble mettre un terme à l'affaire. Le biologiste Franz Bigler (Station de recherche de l'Agroscope, à Zurich) mène en effet une expérience comparable à celle de Jörg Schmidt et... ne met en évidence aucun effet toxique de Cry1Ab sur la coccinelle. Pas le moindre.
Qui croire ? Dans les travaux qui viennent d'être publiés, Angelika Hilbeck - qui appartient au même groupe que Jörg Schmidt - a reproduit les deux expériences contradictoires. "Elle est parvenue à montrer de manière convaincante que Cry1Ab a bel et bien un effet en laboratoire sur les larves de cette coccinelle", estime M. Bourguet.
Comment ? L'expérience montrant une toxicité sur les larves consistait à nourrircelles-ci, de manière continue, avec une nourriture contenant différentes concentrations de la toxine. Quant au protocole montrant l'innocuité de celle-ci, "il consiste à espacer les expositions, c'est-à-dire à accorder un répit de plusieurs heures - jusqu'à une journée - entre deux expositions, explique Mme Hilbeck.Lorsque nous mettons en oeuvre un tel protocole, nous ne trouvons pas, nous non plus, d'effets significatifs sur les larves de coccinelle."
Voilà qui ne règle pas la question de la pertinence du protocole : quel type d'exposition - continue ou discontinue - décrit le mieux ce qui peut se produire en plein champ ? Angelika Hilbeck et ses coauteurs répondent en tentant de mesurerles effets d'une exposition discontinue de la pyrale du maïs (Ostrinia nubilalis) à Cry1Ab. Ce ravageur est la principale cible de la toxine. Or, explique Mme Hilbeck,"si nous l'exposons de manière discontinue à Cry1Ab, sa mortalité chute de manière importante, voire disparaît !".
"ESSAIS EN PLEIN CHAMP"
Ce n'est pas fini. Car si la toxicité, inattendue, de Cry1Ab sur le coléoptère semble désormais avérée en laboratoire, il n'en va pas nécessairement de même en milieu naturel. Cultivé en plein champ, le MON810, qui produit cette toxine, pourrait bien n'avoir qu'un effet minime sur l'insecte.
"Nous ne savons pas quelle proportion de cette coccinelle vit effectivement dans le maïs et c'est sans doute une proportion relativement faible, estime ainsi Denis Bourguet. Nous ignorons donc quelle part de la population totale pourrait, éventuellement, être affectée."
De plus, en milieu naturel, bipunctata se nourrit essentiellement de pucerons, lesquels sont largement exempts de la toxine. Au total, juge-t-il, "il est très probable que l'effet en plein champ, s'il existe, soit très faible ". Pour le savoir, dit Mme Hilbeck, "il faudrait mener des essais en plein champ spécifiquement destinés à détecter des effets létaux sur une génération".
Le débat sur les possibles dégâts collatéraux du maïs Bt sur les insectes non ciblés ne date pas d'aujourd'hui. Une méta-analyse de la biologiste Michelle Marvier (université de Santa Clara, Californie), publiée en 2007 dans Science, avait montré une abondance moindre de certaines espèces d'arthropodes dans les champs de maïs et de coton Bt, par rapport aux cultures conventionnelles non traitées. Mais, selon ces travaux, ces mêmes insectes non-cibles étaient moins abondants dans les champs traités aux insecticides que dans les cultures Bt...
Stéphane Foucart