dimanche 9 février 2014

Suivre les manchots dans leur milieu extrême

Une groupe de manchots est équipé de puces qui permettent de les identifier. Photos A. Pollard.  et D. gremillet   Une groupe de manchots est équipé de puces qui permettent de les identifier. Photos A. Pollard. et D. gremillet L'utilisation de l'article, la reproduction, la diffusion est interdite - LMRS - (c) Copyright Journal La Marseillaise

Ecologie. La biologiste Amélie Lescroël a étudié une grande colonie d’oiseaux marins en Antarctique. Elle a compilé les données relevées pendant treize ans, dont cinq en situation exceptionnelle.

Tout au sud de la planète, dans la mer de Ross lovée dans le continent antarctique, où le thermomètre affiche - 20 degrés en moyenne, se dresse l’île du même nom. Sur ses glaces vivent trois colonies de manchots Adélie. La plus petite compte environ 2 000 couples, la moyenne 50 000 et la plus grande située au Cap Crozier, 250 000 couples, soit environ 500 000 individus. La biologiste Amélie Lescroël* a étudié leurs comportements sur une période de treize années, dont cinq pendant lesquelles d’immenses icebergs ont pris leurs quartiers sous le nez des oiseaux.
Sur l’île de Ross, des équipes de chercheurs se relayent depuis les années 1990 pour étudier les réactions des manchots aux changements environnementaux. Spécialiste des appareils microélectroniques, Amélie Lescroël s’est attelée à suivre leur évolution en mer : la distance parcourue, la profondeur de plongée, les stratégies de pêche… « Depuis les années 90, une petite partie de la colonie est encerclée par un grillage dans lequel a été aménagé un seul point d’entrée équipé d’un pont de pesée et d’un lecteur de puce électronique. Tous les membres de ce groupe sont équipés d’une puce sous-cutanée. Nous pouvons ainsi connaître avec précision l’individu qui passe, à quelle date, quelle heure et son poids, ce qui nous indique la quantité de nourriture qu’il rapporte à la colonie ».

Dis-moi combien tu pêches
La biologiste a compilé treize années de données relevées par ce pont de pesée. Elle s’est concentrée sur la quantité de nourriture rapportée par les adultes pendant la période d’élevage où les parents se relaient sur le nid (entre mi-décembre et mi-janvier). « J’ai regardé pour tous les jours de ces treize ans et pour chaque voyage de chaque manchot combien il a rapporté dans la colonie et j’ai croisé ces données avec la superficie de glace relevée par les images satellites sur cette période », détaille Amélie Lescroël. Les résultats démontrent qu’une grande quantité de glace pénalise les manchots dans leur recherche de nourriture pour leurs petits. « Contrairement à la péninsule antarctique, la mer de Ross a tendance à enregistrer un peu plus de glace ces dernières années. Les manchots ont besoin de cette glace sous laquelle poussent les algues dont se nourrit le kril (petites crevettes) mais quand la concentration de glace est très élevée, les manchots doivent marcher sur de plus longues distances ce qui est plus coûteux en énergie que de nager. A cela s’ajoutent de plus grands risques de prédation par des léopards de mer embusqués, commente la biologiste. Si le réchauffement climatique se poursuit, la quantité de glace va réduire, mais ce ne sera pas un problème pour les manchots, au moins au départ, en été ».

Une falaise de glace s’installe au pied de la colonie
Voilà pour ce qui est de l’étude modélisée avec des paramètres stables. Mais les circonstances ont offert aux chercheurs l’occasion d’étudier un phénomène exceptionnel. « En 2001, l’avancement du glacier de Ross sur la mer a donné naissance à des icebergs géants qui se sont détachés et sont venus se placer juste en face de la colonie du cap Crozier. C’était une falaise de glace impressionnante, décrit Amélie Lescroël. Ils sont restés là pendant cinq ans avant d’être délogés par les courants. Cet événement a complètement bouleversé l’environnement des manchots ».
Tout d’abord, les deux énormes masses de glace, respectivement de 140 km sur 30 et de 50 km sur 25, ont à la fois occupé toute une superficie de la zone de pêche, bouleversé les trajets des manchots à cause de leurs mouvements et occulté la lumière du soleil. « La vie est très saisonnière au pôle et c’est avec l’apparition de la lumière que toute la vie repart : la photosynthèse, les algues, le krill… Pendant les premières années de présence des icebergs, la productivité primaire a fortement diminué créant un effet sur toute la chaîne alimentaire ».
Durant toute cette période, la survie des poussins a été diminuée mais pas celle des adultes. Un moindre mal pour des espèces longévives, qui ont de nombreuses années devant elles pour se reproduire. En revanche, les manchots ont rapporté moins de nourriture et « leur efficacité de pêche n’entretenait plus aucune relation avec la concentration de glace, elle était uniquement contrainte par les circonstances. Si ce type de situations extrêmes de multiplie, cela va devenir très difficile de prévoir comment les manchots vont s’adapter. Si les relations dégagées en temps normal ne sont plus valides, on ne peut plus faire de projection, on devient désemparés ».
Hélène Gosselin
source : l'Hérault du Jour