
Climatologue et membre de l’Académie des sciences, il a ouvert jeudi dernier la 1ère conférence annuelle de l’association française des économistes de l’environnement à Montpellier.
Reconnu au niveau international, Hervé Le Treut est, entre autres, climatologue, membre de l’Académie des sciences et directeur de l’Institut Pierre Simon Laplace. Ses travaux lui ont valu un siège au GIEC, le groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Jeudi dernier, il était l’un des invités de marque de la première conférence annuelle de l’Association française des économistes de l’environnement organisée à l’université Montpellier 1. Entretien.
L’ONU vient de publier un rapport attestant d’un nouveau record de quantité de gaz à effet de serre en 2013. C’est un record qui est voué à être très vite dépassé, non ?
« Ce taux augmente tous les ans depuis 30 ans. Les premières mesures de la quantité de gaz à effet de serre datent de 1957 et nous sommes à présent capables, grâce aux calottes glaciaires de voir plus loin dans le passé. Il s’avère qu’il faut remonter avant le quaternaire, au moment des dinosaures, pour avoir des équivalents de niveaux de CO2 dans l’atmosphère.
Quel a été la vitesse de prise de conscience à partir de ces premières mesures ?
Dans les années 50, on savait qu’on émettait du CO2 mais nous ne savions pas s’il était recapté par l’océan. C’est en 1961 que le premier papier avec une analyse statistique fine a fait apparaître une tendance claire de persistance du CO2 dans l’atmosphère. Que ce phénomène ait des conséquences climatiques fortes n’a été découvert qu’ensuite. La vraie prise de conscience des conséquences néfastes sur le climat est née dans les années 1970 chez les scientifiques et une dizaine d’années plus tard chez les politiques. Ce n’est qu’en 1992 lors du Sommet de la Terre à Rio que le réchauffement climatique a été présenté comme un enjeu majeur auprès des politiques et du grand public.
Etait-ce déjà tard pour s’en rendre compte ?
Non, cela dépendait de l’état des connaissances scientifiques. Il s’agit du problème environnemental le moins intuitif. Ces gaz invisibles, inodores et incolores s’accumulent petit à petit dans l’atmosphère et sont capables d’avoir de graves conséquences. Cette accumulation est très lente par rapport au rythme humain, surtout à celui des médias, mais très rapide au regard de la planète et de l’économie. Il faut mesurer le pont entre ce que l’on peut dire au niveau scientifique : il y a une augmentation de la température, il faut tout modifier, et son acceptation. Le message n’est pas facile à entendre.
Des sondages démontrent encore aujourd’hui qu’une grande partie du public reconnaît le phénomène du changement climatique, mais le comprend mal...
Les gens pensent facilement qu’il y a un trou dans la couche d’ozone, que les rayons du soleil passent et font chauffer la planète, mais cela ne fonctionne pas ainsi. Le processus de l’effet de serre est provoqué par le rayonnement du soleil qui traverse l’atmosphère et vient chauffer le sol qui doit trouver un mécanisme de rafraîchissement. Il dégage du rayonnement infrarouge que l’atmosphère empêche de s’échapper dans l’espace et l’emprisonne près du sol. Ce système est dépendant de gaz en toutes petites quantités. Pour utiliser une métaphore : on ne peut pas faire bouger un camion en donnant un coup de pied, à part sur l’accélérateur. Les émissions de gaz sont l’accélérateur. Et autant nous n’avons aucun impact sur la vitesse ou l’axe de rotation de la Terre, autant avec les gaz à effet de serre nous avons la capacité de changer une chose qui a autant d’importance sur la planète, le climat.
Avec quelles conséquences ?
Les gaz à effet de serre, contrairement aux gaz de pollution urbaine, restent très longtemps dans l’atmosphère. Ils se sont mélangés à l’échelle de la planète, si bien qu’il existe une délocalisation entre la personne qui pollue et celle qui en subit les conséquences. Le réchauffement touche plus fortement les pôles et les continents. Le CO2 acidifie également les océans. Autre inégalité : face à des systèmes complexes, le vivant, réagit très différemment. Dans les régions de basse latitude, l’impact est négatif, dans les régions de haute latitude, ce réchauffement peut apporter plus de croissance végétale, pour le meilleur et le pire. Le problème du vivant, c’est qu’il dépend énormément de l’eau et il s’agit de la partie la plus difficile à anticiper en détail. Nous savons qu’il y aura plus d’eau dans l’atmosphère, plus de précipitations intenses, mais modulées selon la circulation atmosphérique. Globalement, on sait qu’il va y avoir des changements, mais on ne sait pas où ni quand. Il existe une très grande demande de prévention de la part des zones tropicales, elle devra prendre la forme d’une assurance collective. Les fonds verts réclamés par les paysans du sud relèvent de ce besoin.
Comment réagir tant du côté des gouvernements que des citoyens ?
La première des actions est de limiter les émissions de gaz à effet de serre, cela passe par des politiques d’économie d’énergie et de transfert des sources d’énergies carbonées - gasoil, charbon, gaz - à des énergies renouvelables comme le solaire, l’éolien, l’hydrolien, les bio-carburants... Ces décisions vont soulever des débats qui ne relèvent pas de la climatologie. On est capables de dire qu’il y a des risques en peu de mots, mais nous ne sommes pas capables de donner les solutions en peu de mots. Une troisième option consisterait à reprendre du carbone dans l’atmosphère. Il existe des prototypes mais ce procédé mériterait des efforts de recherche beaucoup plus importants. Nous sommes face à des conséquences inévitables auxquelles il va falloir s’adapter quand ce sera possible et de nombreux choix seront à faire à l’échelle territoriale. La chose la plus précieuse que nous ayons à conserver dans cette recherche de solutions, c’est la démocratie. »
Propos recueillis par Hélène Gosselin
source : l'Hérault Du Jour