
XAVIER ROUX. Secrétaire régional de l'Association de développement de l'apiculture professionnelle, cet apiculteur analyse la crise que connaissent les producteurs de miel et en quoi l'abeille est menacée.
Apiculteur à Méjannes-lès-Alès, Xavier Roux, est le secrétaire régional de l'Association de développement de l'apiculture professionnelle en L-R (Adapro).
Vous avez récemment poussé un coup de gueule avec l'Adapro L-R et la FRSEA. Pour quelle raison ?
L'apiculture vit des moments difficiles. Il y a beaucoup de problèmes et pas beaucoup de solutions. Il y a des intoxications dans les zones de montagne avec certains produits utilisés pour désinfecter les bergeries, les étables... On a connu d'importantes mortalités dans les P-O et dans l'Ariège.
Le réchauffement climatique pose également problème avec une météo qui n'est plus aussi régulière qu'avant, avec des périodes extrêmes. On peut passer de deux mois de pluie à deux mois de vent et de sécheresse. L'abeille le supporte très mal.
La situation de crise se ressent-elle déjà ?
Les apiculteurs vont connaître la plus mauvaise année depuis très longtemps. Je suis installé depuis 1990. Auparavant, j'étais avec mon père et je n'ai jamais connu cela. C'est une situation nationale plus ou moins marquée. Dans l'Hérault et le Gard, il y aurait autour 70% de pertes de production par rapport à 2013 qui n'était déjà pas une bonne année. Cela fait des années que la production au kilo de miel à la ruche s'effondre, mais cette année on arrive à une production peau de chagrin. Les années précédentes sur les 40 000 tonnes annuelles de miel consommées en France seules 15 000 y étaient produites par les 70 000 propriétaires de ruches dont 1750 professionnels (ndlr : 1 500 tonnes de miel produites dans la région par 3 400 éleveurs d'abeilles dont 200 professionnels). Cette année on ne sera qu'entre 5 000 et 10 000 tonnes de miel produites en France.
A combien évaluez-vous les pertes financières ?
Jusqu'ici la production baissait chaque année mais le prix du miel augmentait ce qui quelque part compensait la perte dans la vente au détail et avec les revendeurs. Là, on arrive au bout du bout. Les négociants refusent d'acheter plus cher. Ceux qui s'en sortiront seront ceux qui écouleront du miel au détail, s'ils ont suffisamment de production. Certains exploitations vont connaître une chute vertigineuse de leur chiffre d'affaires.
Pensez-vous que des exploitations sont menacées à court terme ?
Oui tout à fait. Je vois mal un jeune qui s'est récemment installé subir trois années de ce genre. Je ne vois pas comment il pourra tenir avec cette troisième année catastrophique. Quand vous investissez vous n'avez pas de trésorerie de côté pour passer les années difficiles. J'ai le sentiment que la filière production et commercialisation de miel est en danger.
Au delà du miel, en quoi est-il primordial de préserver l'abeille ?
Aujourd'hui, parmi les insectes pollinisateurs, il n'y a guère que l'abeille qui est maintenue en vie grâce aux efforts énormes des apiculteurs. Si la production de miel n'est plus au rendez-vous et que des apiculteurs disparaissent, le volume d'abeilles va fortement diminuer. Or, il faut savoir qu'en complément de leurs revenus, certains apiculteurs faisaient de la pollinisation sur les arbres fruitiers (pommes, pêches, poires, abricots, cerises, amandes...) et sur les fruits et légumes (courgettes, melons...). Pour toutes les cultures sous serre, s'il n'y a pas d'abeille, il y a zéro fruit. Le taux de pollinisation ne sera pas suffisant. Et le coût de la ruche à la pollinisation risque de s'envoler comme aux Etats-Unis (entre 100 et 200 dollars de location à la ruche contre environ 30 euros en France). Les porte-graines (colza, tournesol,...) doivent aussi être pollinisés, sans quoi il n'y a pas de graine l'année suivante pour les semences. La question de l'autonomie alimentaire peut finir par se poser si on n'aide pas les apiculteurs à protéger les abeilles.
Le frelon asiatique et le cynips du châtaigner sont-ils des problèmes majeurs ?
La liste des problèmes est sans fin. Il y a une dizaine d'années, le frelon asiatique est venu d'Asie dans une poterie sur le port de Bordeaux. Petit à petit, il s'est mis à coloniser la région bordelaise. Il a tendance à suivre les cours d'eau et à rester proche des villes. Il est désormais présent dans presque toute la France. Mais pour l'instant, il ne fait pas de gros dégâts en Languedoc-Roussillon.
Le cynips est une petite guêpe qui vient elle aussi d'Asie, pique les châtaigniers et leur provoque de la gale. Ici, on en est au début de l'infestation. Mais dans d'autres régions (notamment dans la vallée du Rhône), des collines entières ont été ravagées.
Faut-il s'inquiéter à l'avenir pour le miel de châtaigner ?
Dans les Cévennes, pratiquement tous les arbres commencent à être attaqués. L'an prochain ou celle d'après, il est fort possible qu'il n'y ait plus de miel de châtaigner parce que toutes les vallées cévennoles seront infestées.
La réintroduction du torymus, un prédateur naturel, peut-elle être la solution ?
Là dessus nous travaillons en collaboration avec la filière castanéicole. Au Japon, les techniciens sont arrivés à endiguer les attaques de la guêpe. Le seul problème c'est qu'il faut que le cynips soit bien installé pour que le prédateur soit efficace.
Que demandez-vous au gouvernement ?
Pour l'instant nous lui demandons de déclencher l'état de "calamité agricole". Les agriculteurs paient une cotisation à une Caisse nationale pour les calamités. Lorsqu'il y a un sinistre, ce plan est déclenché en compensation dans les 3 à 6 mois. Sur le long terme, il faudra trouver des solutions pour aider les apiculteurs à produire. Si on veut conserver des abeilles en France, il faudra peut-être finir par payer des éleveurs pour maintenir un cheptel.
Interview réalisée par Rémy Cougnenc
source : l'Hérault du Jour