dimanche 13 octobre 2013

La sexualité des insectes, outil pour météorologues ?

Dans leur film Microcosmos, le peuple de l'herbe (1996), Claude Nuridsany et Marie Pérennou mettaient le spectateur à hauteur d'insecte. Dans une scène impressionnante, l'orage frappait la prairie aveyronnaise où était tourné ce long métrage, la transformant pour ses minuscules habitants en une sorte de Verdun verdoyant : chaque goutte d'eau s'écrasant au sol s'apparentait à un obus et ce qui, pour nous humains, n'était qu'une grosse averse devenait un ouragan meurtrier pour les Lilliputiens à six pattes. D'où l'idée selon laquelle l'évolution aurait conduit ces animaux à prédire l'arrivée de mauvaises conditions météorologiques.
C'est cette hypothèse qu'en collaboration avec des chercheurs canadiens une équipe brésilienne a voulu tester. Les résultats ont été publiés le 2 octobre par PLoS ONE. Tout est parti d'expériences antérieures réalisées sur des insectes à l'université de São Paulo, ainsi que l'a raconté à Nature l'entomologiste Maria Peñaflor, qui co-signe l'étude de PLoS ONE "Certains jours, elles ne marchaient pas très bien, nous n'observions pas beaucoup d'activité" de la part des petits locataires du laboratoire. Ces jours particuliers, il ne faisait pas beau à l'extérieur. Mais comme la température, l'humidité et la lumière étaient sous contrôle à l'intérieur du labo, les chercheurs se sont demandé si les insectes ne modifiaient pas leur comportement en fonction du seul facteur non contrôlé, à savoir la baisse de la pression atmosphérique qui accompagne le mauvais temps.
Pour le vérifier, les chercheurs brésiliens et canadiens ont mis sur pied plusieurs expériences impliquant trois espèces d'insectes issues de trois ordres, différant les unes des autres par la masse, la morphologie et le cycle biologique : un coléoptère en la personne d'une chrysomèle parasite de plusieurs cucurbitacées, un papillon de nuit (lépidoptère) et le puceron vert et rose de la pomme de terre, qui est un hémiptère. Lors de chaque expérience on observait le comportement des bestioles en fonction des variations de la pression atmosphérique, que celles-ci fussent naturelles ou artificiellement créées. Dans le cas du coléoptère, c'est l'activité du mâle seul, mis en présence de phéromones femelles, qui était mesurée. Dans les deux autres cas, les deux sexes étaient représentés et les chercheurs surveillaient les émissions par les femelles de ces molécules messagères ainsi que les accouplements entre insectes. L'idée qui sous-tendait tout ce dispositif était de voir si, anticipant une tempête potentiellement dangereuse, les "cobayes" allaient modifier leur comportement de reproduction. Etant donné que l'objectif premier des insectes adultes est de transmettre leurs gènes et que, pour ce faire, mieux vaut être vivant, allaient-ils pratiquer l'abstinence pour éviter de s'exposer aux éléments en furie ?
Dans toutes les expériences, la réponse a été un oui. En cas de chute du baromètre, la chrysomèle mâle évitait de se diriger vers la source des phéromones. Les deux autres espèces réduisaient aussi considérablement leurs ardeurs amoureuses. Les papillons de nuit femelles et leurs cousines pucerons émettaient nettement moins de phéromones qu'en temps normal. Pour les chercheurs, cela s'explique par le fait que ces insectes prennent quelques risques pour larguer lesdites phéromones : les papillons femelles se placent sur le bord de la feuille, où ils sont plus exposés au vent et aux intempéries. Les dames pucerons jouent encore plus gros puisqu'elles sont obligées de mettre deux pattes (sur six) dans le vide pour relâcher leurs messagers chimiques. Comme elles sont dépourvues d'ailes, en cas de chute de la plante, il y a peu de chances qu'elles retrouvent par la suite une bonne place pour se reproduire.
Avec une pression atmosphérique en baisse, le nombre d'accouplements entre pucerons est tombé à zéro. Chez les papillons, il a été fortement réduit mais il s'est tout de même trouvé quelques aventuriers pour tenter le coup, si l'on peut s'exprimer ainsi. En réanalysant les résultats d'une précédente étude, les chercheurs ont également constaté que les chrysomèles mâles ne manquaient pas non plus de courage. Simplement, l'affaire était vite expédiée : pas de parade nuptiale ou très peu, on sautait l'étape du "faisons connaissance en se tripotant les antennes" et on passait directement à la bête à deux dos. Il fallait en moyenne 5 minutes entre la rencontre et le début de la copulation contre 16 d'ordinaire. Pas de préliminaires, chérie, il va pleuvoir... Pour les chercheurs, reste à déterminer si tous les insectes peuvent jouer aux météorologues et aussi à trouver où leur baromètre intégré se cache.
Pierre Barthélémy