mercredi 6 mars 2013


Les particules fines causent-elles vraiment 42 000 morts par an en France ?

Le Monde.fr | La pollution aux particules fines fait-elle 42 000 morts par an en France ?

"44 000 morts chaque année", du fait des particules fines, dont "au moins une bonne moitié" peut être imputée au diesel. C'est ce que lâchait Jean-Vincent Placé, sénateur et président du groupe Europe Ecologie-Les Verts au micro de Radio classique et Public Sénat lundi 4 mars, pour dénoncer les effets"catastrophiques" du diesel pour la santé. Un chiffre aussi évoqué par la ministre du logement Cécile Duflot tandis que la ministre de l'écologie Delphine Bathoparlait pour sa part de 42 000 morts "prématurées". Alors, les particules fines font-elles vraiment plus de 40 000 morts chaque année en France, soit 8 % des décès annuels ? Et quel est l'impact du diesel ?

Ce chiffre ne vient en réalité ni de l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ni du ministère de l'écologie – comme l'ont répété en boucle hommes politiques, associations et médias – mais de la Commission européenne. Il est issu du rapport CAFE CBA : Baseline analysis 2000 to 2020 publié en 2005 par leprogramme CAFE (Clean Air for Europe, "Air pur pour l'Europe"), mené par la Commission européenne de 2001 à 2006 pour lutter contre la pollution atmosphérique.

Les chercheurs ont ainsi étudié l'impact sanitaire des particules fines, ces éléments en suspension dans l'air d'un diamètre inférieur à 10 micromètres voire 2,5 micromètres – les fameuses PM10 et PM2,5 –, qui pénètrent profondément dans le système respiratoire et provoquent de nombreuses pathologies, surtout chez les personnes fragiles.
Résultats : les Européens perdent au total 3,7 millions d'années d'espérance de vie chaque année, soit l'équivalent de 348 000 décès prématurés par an dans lapopulation de plus de 30 ans. En France, les chiffres sont de 480 000 années perdues et 42 090 morts prématurées, comme l'indique le tableau des impacts sur la santé par pays réalisé par le programme CAFE.
  • Les statistiques datent de 2000
Comment les experts ont-ils procédé pour évaluer l'impact sanitaire de la pollution atmosphérique ? "On ne peut pas comptabiliser directement le nombre de décès dus à la pollution atmosphérique car les affections respiratoires, cancers du poumon ou accidents vasculaires cérébraux peuvent être provoqués par de nombreux facteurs. Il n'y a pas de pathologie traceuse mais un faisceau d'éléments convergents", explique Agnès Lefranc, adjointe au directeur du département santé et environnement de l'Institut de veille sanitaire (InVS).
"Il s'agit donc de se baser sur des études épidémiologiques qui ont établi une corrélation statistique entre les niveaux de pollution aux particules fines et des risques pour la santé, poursuit-elle. En mesurant les niveaux de pollution à un moment donné et le nombre de personnes exposées, on peut ensuite réaliser une modélisation pour obtenir le nombre d'années de vie perdues et de décès.Toutefois, les chiffres sont toujours entourés d'une marge d'incertitude."
Dans l'étude CAFE, les mesures des concentrations de particules fines dans les différents pays européens ont été réalisées en 1997 – les résultats finaux de l'étude ont toutefois été réhaussés de 25 % afin d'être ajustés aux concentrations particulaires de 2005.
L'étude épidémiologique, elle, s'avère être celle du professeur Clive Arden Pope, publiée dans le Journal of the American Medical Association en 2002, et menée auprès d'1,2 million d'Américains entre 1982 et 1998. Le scientifique avait alors conclu que chaque hausse de 10 microgrammes de PM2,5 par mètre cube d'air (µg/m3) entraînait une augmentation de 6% du risque de mortalité due à des maladies chroniques. C'est ce coefficient qu'a retenu le programme CAFE, comme l'explique sa méthodologie.
  • Les émissions baissent, pas les concentrations
Le chiffre de 42 000 morts prématurées par an, valable il y a une quinzaine d'années, l'est-il encore aujourd'hui ? La réponse n'est pas évidente. En effet, depuis 2000, les émissions de particules fines ont été réduites grâce à des normes plus strictes : elles sont ainsi passées de 350 000 tonnes en 2000 à 250 000 en 2011, selon ce graphique d'avril 2012 du Centre interprofessionnel technique d'études de la pollution atmosphérique (Citepa) :
Emissions atmosphériques de PM2,5 par secteur en France métropolitaine (en kt).
Mais dans le même temps, les concentrations de particules sont restées plutôt stables. Ainsi, dans l'agglomération parisienne, la concentration moyenne de PM10 était de 27 microgrammes par m3 d'air en 2011 contre 21 µg/m3 en 2000. Quant aux concentrations de PM2,5, elles s'élevaient à 18 µg/m3 en 2011 contre 14 µg/m3 en 2000, rapporte le bilan 2011 d'AirParif, l'organisme en charge de la surveillance de la qualité de l'air en Ile-de-France : 
Evolution de la concentration moyenne annuelle de particules 2,5 dans l'agglomération parisienne de 2000 à 2011.
"La tendance générale est stable : nous avons changé notre méthode de calcul en 2007, ce qui a entraîné une hausse des valeurs moyennes annuelles de l'ordre de 30%, explique Véronique Ghersi, ingénieur d'études pour AirParif. Il faudra encoreattendre quelques années de mesures avant de pouvoir tirer de véritables conclusions sur l'évolution des concentrations en particules."
"Si les concentrations en particules fines – et non les émissions – baissent, le nombre de pathologies devrait aussi être aussi réduit", assure Agnès Lefranc. Compte tenu de l'absence de données fiables, au niveau national, sur l'évolution de ces concentrations depuis une décennie, l'experte se refuse à donner une estimation "au doigt mouillé" du nombre de décès prématurés que la pollution aux particules fines entraîne aujourd'hui. 
  • Il n'existe pas d'étude nationale récente
En réalité, l'étude la plus à jour qui existe est celle issue du programme européen Aphekom, reprise par un rapport de l'InVS en 2012, qui a passé au crible 25 villes de l'Union européenne, dont 9 françaises. Sur ce bassin de 12 millions de personnes, les experts ont conclu à des espérances de vie réduites, à 30 ans, de 3,6 à 7,5 mois selon les villes. Au total, ce sont 2 900 morts prématurées par an dues aux particules fines qui pourraient être évitées si les concentrations moyennes annuelles de PM2,5 respectaient la valeur guide de l'OMS (10 µg/m3).
Aucune extrapolation n'a été réalisée par l'Institut pour obtenir un bilan global à l'échelle nationale. Sachant que l'étude porte sur un cinquième de la population française, localisée dans les zones les plus polluées de l'Hexagone, un calcul grossier donne 15 000 morts en France. Mais ce serait sans compter les zones agricoles et rurales polluées : les émissions de particules fines proviennent ainsi à 21% de l'agriculture, derrière le chauffage domestique (34%), l'industrie (31%) mais devant les transports (14%). Une partie des particules est aussi importée de l'étranger. Enfin, une différence de méthodologie rend la comparaison entre les deux études malaisée : le programme Aphekom base ses calculs de morts prématurées sur une diminution de la concentration en particules, et non leur suppression. A défaut de savoir si l'on se situe en deçà de 42 000 décès par an dus aux particules fines, on peut douter sans crainte de la pertinence de ce chiffre.
Quant à la part du diesel sur ce total, elle ne peut pas être déterminée précisément mais esquissée. La part des transports dans l'émission de particules fines est donc de 14%, mais elle augmente considérablement en ville, pouratteindre entre 40 à 80%. Sur ces véhicules, 60% roulent au diesel. A l'échelle de la France, le diesel peut donc difficilement peser pour "au moins une bonne moitié"des décès dus aux particules fines, comme l'a déclaré Jean-Vincent Placé.
La Commission européenne pourrait toutefois actualiser les chiffres du programme CAFE cette année, afin de réviser la directive de 2008 concernant la qualité de l'air ambiant et un air pur pour l'Europe.